Un point de vue sur « le cloud »
Un point de vue sur « le cloud »
15 février 2012 - Auteur : - Catégories : Blog

Un point de vue sur « le cloud »

La planète informatique s’affole, on ne parle plus que de ça dans les services IT ou dans les PME. La sortie imminente d’iCloud -la version d’Apple du « nuage »- provoque un buzz incroyable… bref, vous avez déjà sans doute tout lu ou tout entendu au sujet du cloud.

Pourtant, en tant que chef d’entreprise -et donc d’utilisateur du nuage- mais également en tant que consultant susceptible de conseiller mes clients dans leurs choix technologiques, j’ai pensé que mon point de vue sur la question pouvait vous intéresser.

Comme vous l’avez sans doute déjà compris dans le discours ambiant, si vous n’êtes pas utilisateur du nuage, vous êtes has been. Votre entreprise se dirige vers une faillite certaine… c’est l’évidence.

Ah bon ?

Ce type de discours est tellement stéréotypé, que sans présager de son inexactitude, il me semble prudent de me demander de qui il émane.

Or, c’est amusant, je retrouve les mêmes type de discours à propos du nuage que ceux que j’entendais à la fin des années 90 sur « la nouvelle économie ». L’aveuglement de ceux qui les professaient comme de ceux qui les écoutaient devant mener à la constitution puis à l’explosion de « la bulle Internet ».

Si les discours sur le nuage ressemblent à ceux de l’époque, c’est qu’ils viennent parfois des mêmes auteurs. Aux Etats-Unis, on les appelle des « évangélistes ». Le terme en soi devrait nous appeler à la plus grande méfiance.

Que l’on s’entende bien : ce qui va suivre dans cet article est un discours dissonant, critique. Mais ne sautez pas à la conclusion que je ne verrais rien d’intéressant dans le nuage. Comme vous allez le voir, un minimum de sens critique peut nous permettre d’utiliser le nuage à bon escient.

Durant la « bulle Internet », tout le monde était numéro un mondial dans son secteur… et tout ce qu’on savait faire était programmer un vague site web avec une ergonomie acceptable et, grand luxe, une interface vers une base de données. Peu importait qu’on n’ait jamais eu d’expérience de la logistique pour s’improviser supermarché en ligne, qu’on n’ait aucune expérience du recrutement pour constituer une plateforme sur l’emploi, qu’on n’ait jamais regardé autre chose que son écran pour lancer son business de tirage de photos…

C’était la « nouvelle économie », le monde allait marcher comme ça, et tout ce beau monde « levait » des millions pour des startup qui n’avaient oublié qu’un détail : en économie -même « nouvelle » !-, les entreprises doivent générer des richesses.

Ceux qui faisaient valoir un point de vue critique étaient inévitablement taxés de passéistes peu dignes d’intérêt.

Le discours dominant sur le cloud est à peu de chose près aussi irrationnel.

Comme à l’époque, ces fanatiques -j’ose le mot !- sont éblouis par ce qui n’est en réalité qu’un effet de bord. Il est exact que les services proposés par des acteurs majeurs tels que Google ou Apple offrent des fonctionnalités très intéressantes. Celui qui n’a jamais créé un « spreadsheet » (feuille de calcul) sur Google Documents ou équivalent ne peut se rendre compte des avantages que cela représente par rapport à un document Excel résidant sur le disque dur d’un poste de travail.

Il est exact que cela rend le partage d’informations, et donc la collaboration, extrêmement faciles. Plus besoin de s’envoyer le document Excel, de devoir attendre les modifications de notre interlocuteur avant de pouvoir modifier à nouveau. Plus d’e-mails oubliés ou de mélange de versions de documents.

Ces possibilités sont perçues comme déterminantes dans l’économie d’aujourd’hui, où les décideurs sont de plus en plus mobiles, où la vitesse à laquelle l’information peut être centralisée et analysée est un facteur clef de réussite, et enfin où Windows a perdu son monopole, notamment à cause (ou grâce) à la spectaculaire remontée du Mac, mais bien davantage encore à l’explosion des smart phones et des tablettes (iPhone, iPad, Android, BlackBerry, Windows Mobile…)

Déterminantes, elles le sont. Je n’en disconviens pas. Mais ceci ne doit pas occulter les changements fondamentaux qu’entraîne un recours massif aux services du cloud.

La première conséquence, notamment pour les entreprises, c’est la relocalisation de leurs données. Jusqu’à récemment et encore aujourd’hui, les entreprises prenaient en charge elles-mêmes le stockage, les sauvegardes et la sécurité de leurs données. Un autre avantage du cloud est d’ailleurs d’alléger la facture, notamment en réduisant l’investissement nécessaire pour maintenir des serveurs à jour. Mais attention : les grands acteurs des clouds publics ne peuvent garantir la localisation des données, c’est-à-dire que vous ne savez pas du tout où elles se trouvent. Elles sont même dans certains cas réparties sur des serveurs différents, aux quatre coins de la planète. (J’espère malgré tout que vous les retrouverez plus facilement que les coins du globe…)

Rien ne dit que la note que vous avez prise sur votre iPhone afin de la retrouver sur votre PC n’est pas entre temps stockée en Chine ou dans une autre contrée.

Or les lois sur la protection des données ne sont pas les mêmes, loin s’en faut, selon les pays.

Par exemple, 100% des données stockées sur le service iCloud d’Apple seront localisées aux Etats-Unis, et donc soumises au Patriot Act, Ce qui veut dire qu’elles peuvent être réquisitionnées à tout moment par les autorités américaines. Si j’insiste sur le cas d’Apple, c’est qu’iCloud va sortir dans quelques jours, mais la situation avec Office 365 de Microsoft n’est nullement différente.

Pire, les sociétés américaines sont susceptible de transmettre l’information que vous leur auriez confiée, y compris si leurs serveurs sont situés en Europe !

Après tout, si vous avez cru à la nouvelle économie et à ses éléphants roses, pourquoi ne pas croire que l’administration américaine (ou une autre disposant de prérogatives équivalentes ou supérieures) ne fera jamais usage de vos données ?

Plus immédiatement, la confidentialité est également mise à mal par les conditions générales des services concernés, qui fluctuent à chaque modification du service. Quelle est la PME dont le service juridique a le temps de lire et d’analyser ces dizaines de pages de ces conditions à chaque fois ? Je n’en connais pas. Or la confidentialité (privacy) est une notion en pleine évolution, et entamée par les déclarations régulières de dirigeants du cloud (notamment Mark Zuckerberg pour FaceBook, ou Eric Schmidt pour Google), et donc soumise de manière régulière à des interprétations changeantes exprimées dans ces contrats.

Il convient désormais de remonter à la question première : le cloud, qu’est-ce que c’est ?

Le cloud (nuage en français), c’est justement l’idée que les données sont décentralisées, et accessibles par le biais d’une connexion internet, à l’aide d’un logiciel dit client léger, le plus souvent un simple navigateur web.

Or ce concept est tout sauf nouveau. L’utilisation d’un client léger (terminal) interagissant avec des données sur un système central fût même la réalité de l’informatique jusqu’à l’apparition des ordinateurs individuels (PC) dans les années 80. La grosse différence est qu’au lieu d’être centralisées (sur un serveur bien identifié), elles sont au contraire réparties sur une myriade de serveurs formant une nébuleuse, d’où le nom de nuage. Pour l’utilisateur, cela ne fait pas une grosse différence.

Mais si ce qui était perçu comme archaïque quand les ordinateurs individuels sont apparus est désormais considéré comme le dernier cri, c’est que les clients légers (navigateurs) permettent désormais un confort de travail (ergonomie) dû notamment à l’évolution des moteurs de rendu, et en particulier de javascript, mais également -surtout- une grande compatibilité. Les normes établies par le W3C permettent à n’importe quel navigateur de traiter une grande variété de fichiers, dont les spécifications répondent à pratiquement tous les besoins. Que vous travaillez sur un texte, une image, un plan, une composition graphique ou musicale, une base de données… il existe un ou plusieurs formats lisibles par un navigateur. Le service cloud n’a plus alors qu’à vous proposer l’interface pour gérer vos documents ou les modifier.

Les avantages de ces services sont donc nombreux. Parmi eux on citera :

  • la réduction du coût du matériel : plus besoin de serveur local, plus besoin de machines très puissantes -un simple netbook ou un téléphone est aussi bien équipé pour l’utilisation du cloud qu’un monstre de puissance quadri-processeur…
  • aucun logiciel client ne doit être installé sur le poste client -du moins si l’on s’en tient aux services utilisables depuis un navigateur. (d’autres services, comme DropBox, demandent une installation)
  • ces services permettent le travail collaboratif en temps réel (plusieurs personnes peuvent agir simultanément sur le même document)
  • un utilisateur n’a plus besoin de synchroniser ses différents postes de travail (téléphone, PC, tablette…)

Les inconvénients sont notamment :

  • une perte de contrôle de l’endroit où sont effectivement stockées les données (avec des implications de confidentialité, mais également fiscales).
  • une récupération de sauvegarde dépendant d’un service extérieur à l’entreprise, et donc pas toujours aussi prompte à réagir qu’un service informatique interne.
  • la nécessité d’avoir un accès correct à Internet en permanence, et ce point est extrêmement sous-évalué par les évangélistes du cloud. Pas plus aux Etats-Unis qu’en Europe de tels accès ne sont garantis partout. De nombreuses situations nous laissent sans connexion à Internet (transports, absence ou saturation du réseau 3G…)
  • un impact écologique désastreux. En effet, pour assurer la répartition entre les serveurs (load balancing), et la redondance des données (mirroring), les opérateurs doivent passer par des systèmes de synchronisation complexes (middleware) qui consomment une énergie faramineuse. On nuancera toutefois en remarquant que l’importance du succès des smart phones et tablettes permet de contrebalancer cet effet : si la consommation électrique est multipliée du côté serveur, elle baisse très vite du côté client (un téléphone consommant moins qu’un PC). Il faut donc certainement être prudent sur ce point, voire optimiste sur l’évolution à terme.

A voir ces deux listes, il apparaît clairement -du moins sur l’aspect « révolutionnaire » du nuage- que les inconvénients l’emportent sur les avantages, quand bien même ceux-ci sont particulièrement alléchants. Mais ceci ne tient pas compte d’une notion fondamentale, et souvent occultée :

Il y a cloud et cloud.

D’ordinaire, la multiplication des nuages dans le ciel n’est pas bon signe. Dans ce cas, elle l’est. En effet, les inconvénients majeurs du cloud concernent ce que l’on appelle le cloud public. C’est-à-dire des serveurs mutualisés où vos données côtoient les données d’autres.

Or il existe aussi la notion de cloud privé. Dans ce cas-ci, l’entreprise mettra en œuvre son propre cloud sur des serveurs qui lui appartiennent ou qui appartiennent à un prestataire bien identifié. Selon les prestataires, elle disposera de tels ou tels services, ou pourra installer ses propres logiciels.

De nombreux logiciels -souvent Open Source- peuvent ainsi être installés sur un cloud privé. C’est le cas du célébrissime Wikimedia (sur lequel tourne Wikipedia), ainsi que Google Calendar, ou le défunt (et regretté) Google Wave.

Dans le cas du cloud privé, le problème de confidentialité est -en principe- relégué à une question de sécurité informatique, la récupération d’une sauvegarde peut être contrôlée par l’utilisateur, et l’impact écologique est a priori moindre. Dans le cas où le cloud privé est sur le réseau physique de l’entreprise, la problématique de la connexion à Internet n’est pas plus criant que dans l’informatique « pré-nuageuse ».

On voit donc qu’il existe des solutions aux principaux problèmes évoqués, tout en gardant la totalité des avantages. Seulement, sauf à créer un cloud privé en louant plusieurs fermes de serveurs (ce qui se fait fréquemment pour des grosses entreprises comme les banques), on passe de la décentralisation sans limite et sans contrôle à une forme de re-centralisation (sur un ou quelques serveurs).

Autrement dit, nous sommes dans une architecture client/serveur classique, avec un client léger (navigateur). Cette solution est excellente, mais… bienvenue dans les années 1970 ! on n’a rien inventé !

La révolution qui est en marche comporte bien des pièges. En prenant le recul pour les éviter, nous sommes convaincus que vous sortirez gagnant de votre transition au nuage.

Et en attendant, au vu de l’été qui vient de s’écouler, espérons qu’il n’apporte pas trop de pluie !

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